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L’enquête de solvabilité de l’huissier de justice (JUIN 2023)

Un huissier de justice qui reçoit un nouveau dossier ne connait souvent pas grand-chose sur le débiteur qu’il est censé poursuivre et les informations transmises par le créancier peuvent se résumer à un nom et une adresse, pas toujours correcte. L’huissier doit donc se faire au plus vite une idée de la situation de la personne et son état de solvabilité afin d’entreprendre l’action la plus adaptée possible. Concrètement, cela consiste surtout à stopper le dossier au plus vite en cas d’absence de possibilité d’exécution forcée, ce qui permettra de limiter les frais qui pourraient se répercuter sur son client en cas d’échec de la procédure d’exécution. Intéressons-nous donc de plus près à cette analyse de solvabilité, à ses bases légales et à ses contraintes.

Base légale qui lui permet de consulter différentes bases de données

En vertu de l’article 519, § 2, 14° du Code judiciaire, l’huissier de justice est habilité à effectuer des enquêtes sur la solvabilité sur un débiteur et à établir et délivrer des rapports sur le patrimoine de celui-ci. Il s’agit d’une compétence non monopolistique qui peut donc être exercée dès la phase amiable d’un dossier de recouvrement exercée par l’huissier ou par d’autres que lui.

Cependant, les informations auxquelles l’huissier a accès sont très sensibles et protégées par le règlement général pour la protection des données (RGPD). Ainsi elles font l’objet d’une protection particulière et certaines recherches ne peuvent pas être exécutées avant l’obtention d’un titre exécutoire, c’est-à-dire avant que la dette n’ait été reconnue officiellement et que l’huissier agisse en sa qualité d’officier public. (Par exemple : la recherche d’un employeur ou d’un bien immobilier)

D’autre part, comme nous le verrons en détail ci-dessous, la plupart de ces recherches engendrent un coût qui ne peut pas toujours être répercuté sur le débiteur :

  • Pendant la phase amiable, comme le veut l’article 5 de la Loi sur le recouvrement amiable des dettes du consommateur, les frais à charge du débiteur doivent être prévus dans le contrat ou dans les Conditions Générales (qui doivent par ailleurs avoir été acceptées et non abusives).
  • Pendant la phase judiciaire, les frais de poursuite doivent être « raisonnables et proportionnés [1] » ce qui empêche par exemple un huissier d’imposer systématiquement des frais de recherche immobilière en début de dossier. Surtout si la procédure a encore des chances de se régler via une saisie mobilière ou sur revenu.

Les créanciers sont donc peu tentés de demander une enquête de solvabilité complète quelle que soit la phase de la procédure dans laquelle ils se trouvent, et c’est pourquoi l’huissier ne consulte pas toutes les sources en une fois, mais petit à petit en, fonction de l’évolution de la procédure.

Une autre base légale qui permet à l’huissier de consulter certaines bases de données trouve sa source dans le cadre de sa mission (monopolistique cette fois) d’agent de recouvrement judiciaire. Pour chaque action entreprise (commandement, saisie, ...), l’huissier va devoir rechercher et vérifier une série d’informations dans les bases de données officielles (adresses, avis de saisies, …). Le but premier de ces différentes consultations n’est à priori pas d’enquêter sur la solvabilité mais de savoir où se déplacer pour signifier correctement un acte (Consultation du RN) ou de vérifier si pareille saisie n’existe pas déjà (consultation CBB). Cependant, l’huissier sera bien avisé d’en profiter pour compléter et/ou mettre à jour Ces informations viendront compléter au fur et à mesure son analyse de solvabilité et les frais de ces consultations pourront être intégrés au coût de l’acte et répercutés sur le débiteur.

A noter que dans ce contexte, les frais de recherche pourront être réclamés au débiteur même si l’acte en question n’est finalement pas effectué. Ex : si l’huissier consulte la BCSS en vue d’effectuer une saisie sur revenu et qu’il n’y a pas de revenu saisissable, il pourra quand même compter les frais de cette consultation au débiteur.

Bases de données consultées

Voici les différentes bases de données que l’huissier peut consulter ;

Le Registre National ou RN :

qui lui permet de connaitre l’adresse, l’âge ainsi que les précédentes adresses du débiteur, et de se faire une idée de la composition de ménage.

La Banque-Carrefour des Entreprises ou BCE :

informe sur l’adresse du siège et les succursales éventuelles, l’identité des gérants, ainsi que les principales publications au Moniteur sur la vie de l’entreprise (procédure d’insolvabilité, changement d’adresse ou de gérant, comptes annuels …)

La Direction pour l’Immatriculation des Véhicules ou DIV :

renseigne les véhicules enregistrés à son nom. Il ne s’agit pas d’une preuve de propriété mais juste d’une présomption. Cependant, l’huissier a parfaitement le droit de saisir le véhicule juste sur cette base sans même avoir besoin de constater sa présence au moment de la saisie (=l’inventaire). Il revient au véritable propriétaire d’intenter une action en revendication devant le juge des saisies pour faire reconnaitre son droit de propriété. Cependant dans la pratique, l’huissier voudra éviter une procédure en revendication et ne procédera pas à l’enlèvement du véhicule s’il reçoit des preuves suffisamment claires, comme un contrat de leasing.

Le Fichier Central des Avis de Saisies ou FCA :

reprend les poursuites judiciaires en cours ainsi que les procédures de cessions, délégation et RCD. Cela permet à l’huissier de ne pas exposer de frais inutiles en cas de RCD, ou de se joindre à la procédure de saisie en cours.

La Banque-Carrefour de la Sécurité Sociale ou BCSS :

qui permet d’identifier la source de revenus du débiteur (salaire, chômage, pension, indemnité mutuelle, RIS et allocations familiales). A noter qu’à ce jour, l’huissier n’a pas (encore) accès au montant de ce revenu de sorte qu’il ne sait pas si la saisie lui rapportera quelque chose ou non.

L’Enregistrement, le Cadastre, La Conservation des Hypothèques :

qui renseignent sur l’existence d’un patrimoine immobilier.

Le Point de Contact Central ou PCC :

qui reprend les comptes en banque au nom de la personne, ainsi que les montants qui sont communiqués 2 fois par an (Mais l’huissier ne peut y avoir accès que pour les saisies conservatoires autorisées par le juge des saisies)

SIDIS :

pour savoir si la personne est détenue en prison et auprès de quelle institution pénitencière.

Le Bureau de Sécurité Juridique BSJ ou le Registre Central Successoral RCS :

en cas de décès de la personne pour identifier les éventuels héritiers qui auraient remis une déclaration de succession.

Sa propre base de données de débiteurs :

déjà enregistrés qui lui permet de savoir si le débiteur paie généralement ses dettes et de quelle façon. Cette base de données est évidemment beaucoup plus importante pour des gros bureaux du style Modero ou Leroy que pour les autres vu qu’elle est basée sur le nombre de dossiers passés par l’étude.

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L’huissier a également le droit de faire certaines démarches de son côté pour obtenir des informations plus précises sur la solvabilité.

Enquête de police :

Demander une enquête de police quand il y a un doute sur l’adresse

Enquête numérique :

Regarder par exemple la qualité du domicile sur Google street vieuw (appartement – taudis – business center – maison 4 façades…) ou encore, trouver des indices sur l’employeur via linkedin

L’appréciation de l’huissier après passage :

Se rendre sur place pour détecter les traces d’insolvabilité (nom sur la sonnette – boite aux lettres qui déborde – état de la façade – voiture stationnée devant…)

Contacter l’employeur, la mutuelle, l’Onem, l’ONP ou le CPAS renseigné par la BCSS :

pour connaitre le montant du revenu et savoir si une partie de celui-ci est saisissable. Attention rien ne les oblige à répondre (ou à répondre correctement) de sorte que l’huissier ne puisse pas obtenir l’information autrement qu’en effectuant la saisie. Cette démarche n’est pas permise sans titre exécutoire

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On peut remarquer qu’aucune base de données ne lui permet de découvrir d’éventuels revenus locatifs ou encore de l’argent investi ou converti en crypto-monnaie comme les bitcoins. Ces avoirs demeurent donc à ce jour très difficiles à identifier et à saisir.
Les consultations du RN, de la BCE, de la DIV, du FCA et de la BCSS sont automatisées et permettent une réponse immédiate. Les autres bases de données nécessitent un traitement manuel de la demande, un délai de réponse plus ou moins long et l’encodage manuel de la réponse dans le système.

Quand peuvent-ils effectuer ces recherches ?

Comme mentionné plus haut, certaines de ces actions peuvent avoir lieu n’importe quand, tandis que d’autres nécessitent des circonstances au des instructions particulières. Cela a également une répercussion sur la réclamation des frais.

1° En cas de demande d’enquête de solvabilité sur base de l’article 519 § 2, 14° CJ :

  • Sans possession d’un titre exécutoire -> toutes les bases de données SAUF
    • La BCSS
    • L’enregistrement, le Cadastre, La conservation des hypothèques
    • Contacter le débiteur de revenu du son débiteur si celui-ci est un consommateur.

(Mais l’huissier ne peut en répercuter le coût sur le débiteur-consommateur que si les conditions générales de son client le prévoient).

  • En possession d’un titre exécutoire -> toutes les bases de données
    (Mais il ne peut pas en répercuter les frais sur le débiteur pour des raisons de proportionnalité)

2° Sur base d’un simple mandat de son client (donc hors demande spécifique d’enquête),

  • En phase amiable, l’huissier peut consulter les bases de données suivantes, sans pouvoir en répercuter le coût au débiteur-consommateur si les conditions générales de son client ne le prévoient pas :
    • Sa propre base de données
    • La BCE
    • Google et Google street vieuw
    • L’appréciation de l’huissier après un passage sur place.
    • Le RN (dans le cas où l’adresse est inconnue ou s’il reçoit des indices indiquant qu’elle n’est pas correcte)
    • L’enquête de police (s’il reçoit des indices indiquant que l’adresse reprise au RN est incorrecte).
    • Le BSJ ou le RCS (s’il reçoit des indices indiquant le décès du débiteur).
  • S’il reçoit un mandat pour citer, il peut en plus s’informer auprès des bases de données suivantes, et inclure ses frais correspondant dans le coût global de l’acte :
  • Le RN
  • Le FCA
  • Le SIDIS
  • La DIV (si l’huissier doit citer sur base d’une plaque. Exemple en cas d’infraction de roulage)
  • Le FCA (Depuis le 1er janvier 2023 puisque depuis la loi du 2¬6/12/2022 art 34, 3°, l’huissier peut consulter le FCA dans le cadre de n’importe laquelle de ses missions).
  • S’il reçoit un titre exécutoire (ce qui vaut mandat) pour exécuter, il pourra effectuer les recherches suivantes et en inclure les frais dans le coût global de l’acte. (ou ajouter tels quel dans le décompte s’ils n’ont pas été suivis d’une action parce que les résultats de la recherche était négatifs).
    • En cas d’acte, les même 4 bases de de données que pour la citation
    • La DIV (depuis la loi du 13 avril 2019 MB 26/04/2021) en cas de saisie mobilière
    • La BCSS en cas de saisie sur revenu
    • Dans ce cas, il peut ensuite contacter un débiteur de revenu potentiel (Employeur – Mutuelle – RIS – ONEm – CPAS) en effet il s’agit d’informations personnelles sensibles qui ne peuvent pas être réclamées en dehors du cadre de l’exécution judiciaire.
    • L’enregistrement, le Cadastre, La conservation des hypothèques en cas de saisie immobilière.

Il y a 1 cas particulier ; le PCC : qui ne peut être consulté qu’en vue d’une saisie conservatoire autorisée par le juge des saisies donc avant l’obtention d’un titre exécutoire et non après. A noter que l’huissier n’aura accès à aucune des informations concernant le montant du compte qui n’est de toute façon mise à jour que 2 fois par an. C’est pourquoi les saisies sur compte pratiquées par huissier restent très rares au contraire de celles pratiquées par le SPF, qui dispose d’un accès étendu et facile au PCC (Plus d’infos ICI)

Que va faire l’huissier avec son enquête de solvabilité ?

Au fur et à mesure de l’évolution de sa mission de recouvrement, l’huissier acquiert des renseignements de plus en plus précis sur la personne et l’état de son patrimoine. Cependant, il faut rappeler qu’en Belgique il n’existe pas de statut d’insolvabilité basé sur la faible valeur du patrimoine et que seules les procédures d’insolvabilité (RCD, Administration provisoire, faillite et réorganisation judiciaire) obligent à suspendre les poursuites. Le fait de présenter une mauvaise solvabilité n’empêche pas un huissier de venir à votre porte et la décision finale dépendra toujours du client, c’est-à-dire le créancier originaire. C’est lui, au final, qui prend le risque de devoir assumer les frais d’huissier si la procédure d’exécution forcée ne pouvait pas être menée à son terme, faute de patrimoine suffisant.

Voici quelques exemples connus :

S’il s’agit de l’ONSS, l’huissier aura pour instruction d’agir même en cas de mauvaise solvabilité dans le but de pousser le débiteur vers la faillite. En effet la dette ONSS est une dette cyclique et si elle n’est plus payée, le trou risque juste de s’agrandir.
A contrario une société de crédit ne mettra pas d’huissier sur le coup si elle est certaine des chances de réussite de son intervention (en tout cas pour les petits montants). C’est le cas également des anciens bailleurs qui ont dû expulser leur locataire à grand frais et qui ont déjà perdu plusieurs mois de loyer. Ils n’auront pas envie d’exposer de nouveau frais et seront très attentif aux indices d’insolvabilité

Autre utilité de l’enquête de solvabilité, celle-ci permet à l’huissier en cours de procédure de se faire une idée de ses possibilités réelles d’exécution et ainsi de savoir quelle posture adopter lors d’une négociation de facilités de paiements. Ainsi il sera moins enclin à accorder un plan de paiement souple s’il sait que le débiteur dispose d’un revenu saisissable. A contrario un locataire qui est au chômage aura beaucoup plus facile à obtenir un plan de paiement sur plusieurs années parce que l’huissier ne pourra pas vraiment faire autrement.

En conclusion, on peut dire que l’enquête de solvabilité n’est en aucun cas une garantie de réussite ou d’échec d’une procédure d’exécution forcée, mais elle permet à l’huissier de s’adapter à la situation. Aussi bien vis-à-vis du créancier qu’il pourra conseiller sur le risque d’échec, que vis-à-vis du débiteur avec qui il sera plus ou moins souple lors des négociations.

[1Art 48 du Recueil des règles déontologiques pour les huissiers de justice : L’huissier de justice doit garantir la proportionnalité des poursuites par rapport au but poursuivi.

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