Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes
de la Région de Bruxelles-Capitale

Fédération

Lettre ouverte - Face à la digitalisation des services les guichets doivent rester ouverts. Revenons à l’humain !

28/09/2021

Le Centre d’Appui Services de Médiation de Dettes Bruxelles, en collaboration avec de nombreux réseaux et acteurs de terrain, vous partage cette Lettre Ouverte destinée à sensibiliser à l’importance de maintenir les guichets ouverts, malgré le télétravail et la digitalisation croissante.

Aujourd’hui, l’accès aux services fondamentaux publics ou privés est principalement numérisé. La crise sanitaire a sans nul doute accéléré la transition digitale dans tous les secteurs. La santé : du rendez-vous médical au dossier médical informatisé en passant par la mutuelle, la scolarité, les aides sociales, l’emploi, les pensions, le droit de séjour, les allocations familiales ou encore les opérations bancaires passent presque exclusivement par internet.

Certes, cela apporte de nombreux avantages.

Néanmoins, 40% de la population belge reste vulnérable face au numérique [1]. À l’échelle de la Région bruxelloise, 170.000 personnes n’ont aucune compétence numérique et 475.000 Bruxellois et Bruxelloises, des compétences faibles.

En tant que travailleurs et travailleuses sociales de différents horizons, nous constatons tous les jours les freins à l’accès numérique et souhaitons dénoncer les conséquences désastreuses de la perte de contact humain.

Nous remarquons que l’analphabétisme numérique concerne étonnamment autant les aînés et aînées que les jeunes, sans oublier les personnes qui ne maîtrisent pas les langues nationales. Beaucoup ne disposent toujours pas de l’équipement nécessaire (ordinateur, imprimante, lecteur de carte d’identité, de banque, etc.) et n’ont pas les moyens de se le procurer.
Bien que des aides sociales et des formations numériques existent, elles ne sont pas suffisantes et tous et toutes n’y ont pas accès. Certaines personnes ne sont pas dans les conditions pour les obtenir, d’autres ne trouvent plus de places disponibles, manquent d’information ou de temps pour se former, d’autres encore manquent de maîtrise d’une langue nationale et ne trouvent plus de places en alpha/FLE… De plus, les Espaces Publics Numériques sont trop peu nombreux et sous-financés.

Par ailleurs, pour certains publics comme les personnes plus âgées, les manipulations informatiques ne sont pas intuitives. Certaines ont beau essayer de s’y familiariser, elles n’y parviennent pas. D’autres ne sont pas intéressées ou sont véritablement effrayées face à ces technologies.

La fracture numérique touche également les familles et les jeunes. Bien que à l’aise sur les réseaux sociaux, n’ayant jamais été confrontés à l’outil informatique, de nombreux et nombreuses jeunes n’ont pas les connaissances nécessaires pour même enregistrer un document sur leur ordinateur. Beaucoup n’ont pu utiliser que leurs Smartphones pour suivre leurs cours en ligne. D’autres doivent partager le PC familial avec leurs parents et fratrie, le manque de moyens et de compétences informatiques ne leur permettant finalement pas de répondre aux demandes des enseignants et enseignantes.
Cette digitalisation forcée a rendu les jeunes encore plus vulnérables face au décrochage scolaire.
Aussi, les parents doivent maintenant être connecté·e·s et outillé·e·s pour recevoir les devoirs et informations scolaires de leurs enfants. Puisqu’il nécessite de s’équiper en conséquence, l’accès à la scolarité devient de moins en moins gratuit.

Dès lors, nous déplorons que nombre des citoyens et citoyennes non connectées vivent un véritable parcours du ou de la combattante pour réaliser les démarches fondamentales à leur vie quotidienne. La digitalisation des services les rend dépendant·e·s de leur entourage et des professionnels et professionnelles du social. Au détriment de nos missions de base, nous sommes lourdement sollicité·e·s pour aider les personnes moins numérisées à prendre rendez-vous, faire un virement, répondre à un mail important, remplir des documents formatés, etc.
Plus que jamais, nous comprenons les difficultés des publics et nous épuisons à tenter de joindre les services pouvant les aider.

Hélas, nous regrettons que l’absence de contact réel engendre une méfiance croissante envers les institutions et puisse entraîner les usagers et les usagères dans des situations inextricables qui les précarisent davantage.

Sans possibilité de parler en face à face à une personne pour expliquer leurs besoins, leur situation complexe qui ne rentre pas dans les cases, de poser des questions et d’obtenir des réponses adaptées et non « toutes-faites » dans des FAQ, beaucoup de citoyens et de citoyennes risquent de passer à côté de précieuses informations et de l’accès à leurs droits.
Sans vraie interaction, l’intérêt et l’empathie pour la personne disparait. Celle-ci devient un « dossier » traité derrière un PC.
Tenus à distance, les usagers et usagères des services perdent leur singularité. A force de ne pas être réellement considérés, ils et elles ont le sentiment d’être dépossédées de leur autonomie, de leur dignité et de leur humanité. Les personnes seules voient leur isolement renforcé. Les plus fragiles subissent la situation avec angoisse et stress. Leur santé mentale en prend un coup !

Des allers-retours de mails, d’appels et de rappels nous font perdre beaucoup de temps ainsi qu’aux publics et entraînent parfois le dépassement des délais d’accès à certaines aides (ex : non renouvellement de titre de séjour temporaire vu les délais excessivement longs de rendez-vous en ligne).
Des formulaires en ligne incompris et mal complétés car non expliqués par un ou une conseillère peuvent avoir des conséquences dramatiques dans le quotidien des citoyens et des citoyennes (ex : suspension des allocations de chômage).

On voit alors la responsabilité reportée sur l’usager ou l’usagère qui a fait une « erreur », le ou la pénalisant (et culpabilisant) une deuxième fois.
Au lieu d’accélérer les procédures, le numérique peut, finalement, les complexifier et les ralentir voire même les rendre impossible.
Dans ce cas, il ne s’agit pas d’inclusion numérique mais de possibilité de bénéficier d’une aide !

Par ailleurs, la sécurité numérique inquiète autant les publics non connectés que les travailleurs et travailleuses de terrain amenées à les aider. Le partage de code secret et données personnelles pour des opérations bancaires, les vols de données, les bugs informatiques, sont autant de risques que l’on pourrait éviter en permettant à ces publics d’accéder à des guichets ouverts (sans que leurs opérations leurs soient facturées !).

Toutefois, il semble que ce « tout au numérique » ait permis aux administrations de travailler avec moins de pression dans leurs bureaux. Des témoignages d’usagers et d’usagères enfin parvenues aux guichets - des citoyens et des citoyennes plus averties et mieux entourées - confirment qu’après des mois d’attente, le rendez-vous tant attendu se déroule dans un environnement presque vide. Dans certaines administrations, l’urgence peut se moyenner dans le temps, certaines ne confirment pas les rendez-vous et laissent les usagers et les usagères perplexes, dans d’autres rien ne se fait. Nous ne pouvons que nous questionner face à ces pratiques et ces délais d’attente inconsidérés. Y aurait-t-il une volonté de discrimination numérique ?

Quoi qu’il en soit, nous estimons qu’il est plus que temps d’un retour à la normale. Cette effectivité des systèmes par mails et rendez-vous en ligne, bien que facilitée pour une part de la population, ne l’est absolument pas pour une autre partie plus précarisée ou âgée.
Ces décisions administratives restreignant l’accès physique aux organismes publics et privés renforcent la précarité des citoyens et des citoyennes. Cette crise sanitaire sans précédent n’a fait que révéler la fracture bien réelle qui se creuse dans la société.
Si la pression des demandes auprès des administrations semble être régulée ou même avoir diminué, il s’agit d’un trompe-l’oeil. Les publics n’ont pas disparu, ils n’ont juste pas atteint les services désirés.

En somme, si le numérique a de nombreux avantages et qu’il est essentiel de continuer à oeuvrer pour équiper et former les publics précaires, nous refusons que ce numérique devienne l’unique accès aux aides et services. Il est primordial de maintenir le contact humain tant dans les administrations publiques que privées.
Aucune intelligence artificielle ne remplacera jamais une personne dans le règlement de difficultés sociales et administratives. Elle ne pourra pas redonner confiance, courage et dignité comme le font les acteurs et actrices de terrain.
Dès lors, il faut laisser le choix aux publics !
Qu’ils puissent, selon leurs compétences, décider de rencontrer un ou une agent à un guichet, remplir un formulaire papier, s’enregistrer par téléphone, ou finalement passer par internet.

Si l’on veut éviter de creuser davantage les inégalités sociales et le non-recours aux droits sociaux, il est essentiel que cette liberté de choix puisse exister. La digitalisation ne peut pas être la norme !

Signataires

  • La Coordination de l’Action Sociale du CPAS de Saint-Gilles
  • Le CPAS de Saint-Gilles
  • Le Forum - Bruxelles contre les inégalités
  • REZONE
  • Le Projet LAMA
  • Le CBCS
  • Le Centre ARIANE
  • LBSM (Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale)
  • La FEDITO
  • Le Samusocial
  • Rendre Visible l’Invisible
  • Coordination sociale et service social du CPAS de Watermael-Boitsfort
  • Fédération des maisons médicales
  • FDSS (Fédération des services sociaux)
  • L’AMA – Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans abris
  • Le CASAF des Petits Riens
  • CVTS (Comité de Vigilance en Travail Social)
  • Brussels Platform Armoede
  • Coordination de l’Action sociale du CPAS de Saint-Josse-Ten-Noode
  • Norwest asbl
  • SIREAS group
  • Centre d’appui médiation de dettes de Bruxelles
  • Réseau santé mentale Marolles
  • L’aDAS, Association de Défense des Allocataires Sociaux ASBL
  • Fédération BICO
  • Lire et Ecrire Bruxelles
  • CPAS de Wolluwé Saint-Pierre
  • Wolu services asbl
  • FeBISP asbl
  • Coordination des Ecoles de Devoirs de Bruxelles
  • Cellule Capteur et Créateur de Logements
  • Le Collectif Travail Social en Lutte
  • FLPF – Fédération Laïque des Centres de Planning Familial
  • Badje asbl
  • CPAS d’Etterbeek
  • ASBL Aidants proches Bruxelles
  • CABAN-DIBAC (réseau des acteurs de l’inclusion numérique à Bruxelles)
  • Bru4home - plateforme intersectorielle de captation de logements
  • Coordination sociale d’Ixelles
  • FESOCOLAB (fédération des sociétés coopératives de logement à Bruxelles)
  • Le Piment asbl
  • Le SMES
  • Zoom Seniors
  • CPAS de Forest
  • La Ligue des droits humains
  • Coordination sociale de Watermael-Boitsfort
  • CPAS de Watermael-Boitsfort
  • Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP)

[1Fondation Roi Baudouin : Baromètre 2020 sur l’inclusion numérique

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