Depuis quelques années, plusieurs huissiers de justice néerlandophones ont décidé, sous la direction de l’huissier Patrick VAN BRUGGENHOUT et l’impulsion de BEWEGING.NET, de lancer une « nouvelle façon » de faire de la médiation de dettes sous le nom de MyTrustO.
C’est malheureusement une réalité du terrain, les services de médiation de dettes et d’aide aux personnes en difficulté financière sont débordés. Ils n’ont plus la possibilité matérielle de garantir une aide rapide à toutes les personnes qui en ont besoin. Or, ces services n’ont pas le monopole de la médiation de dettes et d’autres acteurs du monde du recouvrement ont le droit de la pratiquer sans avoir besoin d’un agrément. Il s’agit des avocats, des notaires et des huissiers de justice.
Essentiellement actif jusqu’ici en Flandre, MyTrustO semble dernièrement vouloir étendre ses activités à Bruxelles et en Région Wallonne.
Que propose MyTrustO ?
Toute personne confrontée à des poursuites financières peut prendre rendez-vous avec un conseiller pour faire établir une sorte d’inventaire de ses dettes et de son patrimoine. Selon le site internet de MyTrustO, ce document établira un « aperçu de qui vous êtes, ce que vous possédez, ce que vous gagnez et quelles sont vos dettes » et recevra la force d’un constat d’huissier. Le conseiller de MyTrustO prendra ensuite contact avec les créanciers de la personne afin de négocier des plans de paiement en tenant compte de l’ensemble de ses dettes.
Ce service coûte au débiteur 150,00€ pour l’ouverture du dossier et la rédaction du document, plus environ 50,00€ par mois pour le suivi (ce montant peut varier en fonction du nombre de dettes), et permettrait à chaque partie d’y trouver son compte.
Le débiteur trouve une solution pour payer ses dettes et éviter de nouveaux frais de poursuite.
Les créanciers, eux, reçoivent la garantie de la bonne foi du débiteur ainsi que l’assurance que sa situation a bien été vérifiée et « constatée » par un professionnel.
L’huissier, quant à lui, bénéficie d’une vision plus globale et plus précise sur la situation financière du débiteur. Par ailleurs, au niveau financier, l’opération n’est pas sans intérêt pour lui. Il diminuera peut-être ses coûts d’intervention vis-à-vis du créancier et évitera au débiteur les frais d’une procédure en justice mais en compensation, il pourra bénéficier d’une rétribution fixe payée par le débiteur, et ce peu importe la phase de la procédure dans laquelle il se trouve (amiable ou judiciaire), ainsi que d’une sacrée plus-value à faire valoir après de ses clients qui restent, ne l’oublions pas, les créanciers.
Cette solution win-win-win a de quoi séduire et a même été nominée pour le prix fédéral de lutte contre la pauvreté en 2016.
Mais qu’en est-il réellement ?
Si cette procédure a pour but d’éviter l’accumulation des frais et les recours en justice, elle est certainement plus éthique que la façon habituelle de travailler des Huissiers de Justice. Néanmoins, elle ne convient pas à tous les types de public ni à toutes les situations de surendettement. C’est d’ailleurs indiqué sur leur site internet, My TrustO n’a pas pour vocation de remplacer les services de médiation de dettes traditionnels et vise a priori un public plus averti, qui a les moyens et l’envie de s’en sortir seul en évitant de devoir pousser la porte d’un CPAS.
Ce public a d’ailleurs intérêt à être bien averti parce qu’il doit savoir que, via la médiation de dettes façon MyTrustO, il offre de façon volontaire à l’huissier-médiateur une emprise importante sur son patrimoine, ce qui pose pas mal de questions au niveau du conflit d’intérêt. Si MyTrustO prétend agir sous couvert d’un label de recouvrement responsable, il n’en reste pas moins un huissier qui, bien qu’officier d’Etat Civil, reste un indépendant lié par certains objectifs de rentabilité.
Voici quelques exemples de conflits potentiels :
Du point de vue de cette analyse de patrimoine tout d’abord.
Il faut bien se rendre compte qu’elle permet à l’huissier d’avoir accès à certaines informations auxquelles il n’aurait pas eu accès en temps normal. Ou alors après exposition de certains frais à un stade beaucoup plus avancé de la procédure. On pense par exemple à cet accès MYMINFIN qui serait systématiquement demandé.
Concernant l’inventaire des dettes.
A aucun moment MyTrustO ne prétend se pencher sur la question de la validité des dettes qui lui sont soumises. Vont-ils correctement informer le débiteur lorsque les montants réclamés sont potentiellement indus, prescrits ou contestés. Que se passera-t-il le jour où la créance contestée appartiendra à un de leurs clients ?
Sur quelle base l’huissier va-t-il déterminer la somme qui va être dégagée pour les créanciers ?
A part un accord volontaire, My TrustO ne prétend pas rechercher à établir un budget précis des charges du ménage, ni à conseiller la personne sur la réduction de ses dépenses ou l’augmentation de ses revenus. Il ne s’agit pas non plus de vérifier, comme le font les services de médiation de dettes, si la personne bénéficie des droits sociaux, aides sociales financières, régimes fiscaux auxquelles elle pourrait prétendre.
Puisque son but est de garantir aux créanciers qu’il n’est plus nécessaire d’entreprendre d’autre mesure d’exécution forcée, comment être sûr que le montant accordé permet à la personne de disposer d’assez d’argent pour vivre décemment ?
Et que se passe-t-il pour les personnes qui sont manifestement insolvables et ne peuvent pas proposer de plans de paiement sans mettre en péril les charges du ménage liées à la dignité humaine ?
Sachant qu’un plan de remboursement peut durer plusieurs années, quel est le coût final pour le débiteur ? Et ces frais réclamés n’entrent-ils pas en contradiction avec les articles 5 et 3 §2 de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur qui interdissent précisément de répercuter sur le débiteur d’autres frais de recouvrement que ceux qui sont prévus dans le contrat ou par la loi.
Lorsque le débiteur a plusieurs créanciers, comment s’assurer que My TrustO ne va pas privilégier ses propres clients par rapport à des créanciers qui bénéficient peut-être de clause de préférence, ou qui devraient être payés en priorité ?
Ensuite, il faut rappeler que, si le but de My TrustO est de présenter une solution raisonnable aux créanciers, il n’a aucun pouvoir de contrainte pour leur imposer un plan de paiement. Seul un juge dans le cadre d’un procès ou de règlement collectif de dettes le peut. Jamais ils ne pourront empêcher l’entêtement d’un créancier si ce n’est peut-être, si le créancier est un de leur client et encore.
Et même dans ce cas-là que se passera-t-il si le contrat prend fin ?
Lorsque le débiteur est visiblement dans un état de détresse plus grave, ou qui nécessite une prise en charge plus importante que le simple établissement de plans de paiement avec ses créanciers, quand My TrustO va-t-il tirer la sonnette d’alarme et renvoyer vers un service social ou par exemple vers les procédures judiciaires en administration de biens ou en règlement collectif de dette ? Vont-il avoir la force de refuser un dossier ?
Enfin l’analyse financière de My TrustO repose sur la situation actuelle du débiteur et celle-ci peut évoluer. Que se passe-t-il s’il y a de nouvelles dettes ? ou des dettes oubliées qui resurgissent ? ou si la personne perd son emploi ? Acceptera-il de revoir son plan demandera-t-il à être repayé pour ça ?
Si la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a estimé que le rôle de l’Huissier dans My Trusto n’était pas en contradiction avec ses missions imposées par la loi, elle a aussi tenu à se distancier de cette initiative dont elle aimerait ne pas avoir à contrôler les abus.
Vous l’aurez compris, si nous appelons de nos vœux un recouvrement éthique et responsable de la part des huissiers en vue d’éviter des frais de recouvrement inutiles tant pour les débiteurs que pour les créanciers, l’initiative de MyTrustO nous laisse encore perplexe. Ce service offre peut-être la possibilité d’éviter les pièges d’une procédure de recouvrement judiciaire classique, mais il a un coût et non des moindres et présente de nombreuses limites.
Un tel service n’est, en outre, absolument pas adapté aux situations de pauvreté avérée c’est-à-dire aux ménages qui sont manifestement insolvables et ne peuvent pas proposer de plans de paiement sans mettre en péril les charges du ménage liées à la dignité humaine.
Il est important de garder à l’esprit que MyTrustO reste avant tout un huissier chargé du recouvrement et n’a pas pour vocation à remplacer un service de médiation de dettes.
En comparaison, outre l’analyse détaillée du budget (dépenses et ressources) et l’examen de la légitimité des créances réclamées, les services de médiation de dettes offrent également un suivi social sans lequel la médiation de dettes est bien souvent vouée à l’échec. Cette guidance budgétaire permet d’accompagner les personnes dans les difficultés qu’elles rencontrent (difficultés de gestion, logement, scolarité, problèmes familiaux et autres) et a pour but de les rendre autonomes dans la gestion de leur budget. Ce travail requiert une bonne connaissance de la sécurité sociale et des rouages administratifs, de s’adapter aux limites et au rythme d’apprentissage de chacun, à la situation spécifique de la personne, à son cadre de valeurs et implique une charge émotionnelle importante pour l’assistant social.
Cette initiative pose aussi la question de la privatisation et de la commercialisation de services autrefois réservés au secteur public.
Ainsi, à Anvers, dans le cadre d’un projet-pilote d’un an, le CPAS a proposé (gratuitement à ce stade) les services de MyTrustO à ses bénéficiaires pour parer au manque de personnel de son service de médiation. Les personnes peuvent encore refuser, tout en sachant que dans ce cas, la menace d’un règlement collectif de dettes se profile à l’horizon. Si le projet est concluant, le CPAS pourrait envisager d’étendre la collaboration. Depuis le début de la législature, une dizaine de projets à caractère social ont été ouverts au secteur privé .
Selon nos informations, ce projet pilote ne sera pas reconduit.
MyTrustO n’est pas la seule initiative à surfer sur la vague du recouvrement de dettes « social », « éthique », et « responsable », d’autres acteurs privés du recouvrement se profilent à l’horizon.
Ainsi l’ASBL SOCREM fondée par 3 bureaux de recouvrement bien connus : Venturis, Intrum justicia et Vesting finance se propose également de jouer les intermédiaires entre les débiteurs et leurs créanciers en leur proposant une « approche plus humaine ».
Tous les deux démarchent activement nos entreprises et pouvoirs publics !