1. Les plaintes déposées à la chambre nationale des huissiers de justice
En 2022, nous avons continué à déposer des plaintes à la Chambre Nationale des huissiers de Justice contre les comportements abusifs les plus flagrants de certains huissiers de justice.
Les pratiques incriminées concernent toujours les mêmes études. Elles sont récurrentes et ces quelques dossiers de plaintes ne représentent en réalité qu’une petite partie des dossiers qui nous sont transmis par les services de médiation de dettes de la Région de Bruxelles-Capitale.
Le 16 août 2022, nous avons déposé plainte contre l’étude de l’huissier Modero.
Celui-ci qui comptabilisait des frais supplémentaires injustifiés de 25,00 € (parfois intitulés “frais administratif : art 1382 C.C., parfois “surtaxe ») en plus de la surtaxe de 107,00 € par infraction dans les dossiers des voyageurs contrôlés sans titre de transport.
L’Ombudsman de la STIB, nous a confirmé que la réclamation de ce supplément n’était pas conforme à la législation applicable (ce que nous savions déjà) ni même à ce qui était convenu entre la STIB et les huissiers qu’elle a désignés dans le cadre du marché public ayant mené à la conclusion d’un accord-cadre pour l’encaissement de créances commerciales, d’amendes et de surtaxes.
Il s’agissait là d’une initiative de l’huissier qui d’ailleurs conservait l’argent sans le reverser à la STIB. Ni la Chambre Nationale ni la Commission n’ont jugé utile de sanctionner l’huissier.
Au total depuis 2018, nous avons donc déposé 19 plaintes détaillées concernant tant le recouvrement amiable que le recouvrement judiciaire. La durée moyenne du traitement de ces plaintes dépasse les 1.000 jours, soit plus de 3 ans.
A ce jour, une seule de nos plaintes a abouti à une sanction définitive.
Il s’agissait d’un dossier de crédit à la consommation dans lequel l’huissier n’avait pas appliqué correctement la règle d’imputation des paiements.
En effet en matière de crédit à la consommation, ceux-ci doivent s’imputer en priorité sur les sommes productives d’intérêts et non sur les intérêts eux-mêmes.
Le Centre d’Appui a échangé des conclusions puis plaidé devant la Commission Disciplinaire et la condamnation, qui portait plus sur la mauvaise réaction de l’huissier à la contestation motivée du service de médiation de dettes, a été prononcée en date du 8/06/2022, soit 1.108 jours après le dépôt de la plainte.
L’huissier a été condamné à un rappel à l’ordre et une amende de 250,00 €.
Nous ignorons à ce jour si l’huissier a fait appel de cette décision et/ou si la sanction est devenue définitive ou pas. La Chambre Nationale nous a confirmé en date du 20/09/2022 qu’ils avaient reçu la confirmation orale du Greffe de l’absence d’appel, mais nous ne pouvons pas en être certains.
Pour les autres plaintes, le délai d’instruction a varié entre 500 et 1.000 jours.
Si la moitié de nos plaintes a été bloquée au niveau du Comité de Direction de la Chambre Nationale (la 2ème étape), l’autre moitié a été renvoyée devant la Commission Disciplinaire.
Les motifs de refus ont rarement porté sur le fond, mais plutôt sur la forme, comme lorsque la Commission Néerlandophone a estimé les faits prescrits (après 1.165 jours), alors même que la Commission Francophone acceptait de juger des faits plus anciens. A noter que la longueur du délai de traitement est uniquement imputable à la Chambre Nationale elle-même.
La seule condamnation obtenue précédemment devant la Commission Disciplinaire avait été réformée devant le tribunal de première instance au motif que les fautes reprochées à l’huissier étaient bien fondées mais pas répétitives.
Difficile en effet de prouver qu’il s’agit de pratiques récurrentes et répétitives puisque le tribunal n’est à chaque fois saisi que d’un seul dossier et donc d’une seule faute à la fois).
Encore une fois, ceci met en évidence la nécessité de soumettre les huissiers à un contrôle réel externe et indépendant (voyez notre mémorandum en ce sens).
A noter que la nouvelle réforme de la procédure disciplinaire des huissiers de justice qui a été publiée en date du 22/12/2022 et qui est entrée en vigueur le 1/01/2024 est extrêmement décevante et constitue même un recul sur plusieurs points par rapport à la procédure actuellement en vigueur : Il n’y a pas de garantie d’impartialité de traitement des plaintes.
1. En effet, la plainte est toujours instruite au niveau de la Chambre nationale des huissiers de justice.
La création d’un auditorat ne change rien au système actuel. La loi ne prévoit aucune règle pour assurer l’impartialité du ou des huissiers chargés d’instruire le dossier et de prendre une décision de renvoi ou non vers le Conseil de discipline.
En quand bien même des règles seraient mises en place, il est actuellement quasi impossible de s’assurer de la réelle impartialité de l’auditorat.
En effet, en raison du nombre restreint d’huissiers et du développement important de certaines études qui rassemblent de nombreux huissiers et offrent leurs services sur plusieurs arrondissements (avec le concours d’autres huissiers à qui ils sous-traitent leurs dossiers), il est de plus en plus fréquent que les huissiers soient d’une manière ou d’une autre en relation d’affaires les uns avec les autres.
2. Les délais prévus sont censés limiter un peu mieux la procédure dans le temps.
Ceci est un point positif puisqu’actuellement il n’y a aucun délai prévu ni pour l’instruction de la plainte devant la CNHB ni devant la commission disciplinaire. Mais la loi manque singulièrement de clarté et il n’y a pas de sanction prévue en cas de dépassement si ce n’est le remplacement de l’auditeur ce qui implique l’écoulement d’un nouveau délai d’instruction qui n’est pas encadré par la loi … on risque vite de retomber dans les dérives constatées précédemment
3. Les recours du plaignant ont été réduits :
Il est réduit au simple rôle de lanceur d’alerte. Il ne pourra, par exemple, plus saisir directement le Conseil disciplinaire si l’auditeur ne donne pas suite à sa plainte ;
4. Le plaignant doit désormais motiver sa plainte, voire même (selon certaines interprétations) qualifier lui-même les faits sur le plan de la déontologie.
C’est une exigence qui n’existait pas auparavant et qui est injustifiée. Elle risque de disqualifier des plaintes parfaitement fondées. En effet, les particuliers ne sont pas des juristes avertis et les faits reprochés à l’huissier peuvent parfaitement s’avérer fondés après examen même si la plainte est à l’origine peu ou mal motivée en fait ou en droit.
5. La composition et le fonctionnement du Conseil de discipline qui sera créé ne garantit pas l’impartialité des débats.
En effet, la place des huissiers y est prépondérante puisqu’il est composé d’un siège à trois membres, deux sont huissiers et votent (art. 555/5sexies).
6. En outre, on a supprimé l’obligation de présence d’un membre extérieur à la profession qui était prévue antérieurement.
Il est évident que le magistrat n’a pas forcément la connaissance du terrain. Néanmoins, d’autres professions, experts peuvent lui apporter un éclairage utile.
En outre, le magistrat devrait être le seul à prendre la décision ou à tout le moins avoir une voix prépondérante.
7. La règle d’incompatibilité qui prévoit que l’huissier « assesseur » doit être un huissier issu d’un autre arrondissement judiciaire n’est absolument pas suffisante pour assurer son impartialité.
En effet, en raison du nombre restreint d’huissiers et du développement important de certaines études qui rassemblent de nombreux huissiers et offrent leurs services sur plusieurs arrondissements (avec le concours d’autres huissiers à qui ils sous-traitent leurs dossiers), il est de plus en plus fréquent que les huissiers soient d’une manière ou d’une autre en relation d’affaires les uns avec les autres.
8. La procédure disciplinaire devant le Conseil de discipline doit être, sous peine de prescription, ouverte dans les deux ans de la connaissance des faits.
Ici aussi ce délai risque d’avoir un effet pervers et d’aboutir au rejet de plaintes parfaitement fondées.
2. L’enquête du SPF Economie sur le secteur des huissiers de justice
En 2022, nous avons également été consultés par l’Observatoire des prix du SPF Economie qui a rédigé une large étude sur le secteur des huissiers de justice. Nous leur avons fait part des dysfonctionnements dont nous avions connaissance.
Cette enquête est publiée sur le site du SPF Economie.
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