1. Une nouvelle mesure déjà en danger
Face à l’augmentation des expulsions, le Parlement bruxellois a adopté une nouvelle ordonnance relative à la procédure d’expulsion, en vigueur depuis septembre 2023, visant à limiter les recours à cette mesure. Cette ordonnance a notamment introduit un moratoire hivernal interdisant les expulsions effectives entre le 1er novembre et le 15 mars.
L’ordonnance prévoit également :
- Un allongement des délais avant l’entame de la procédure judiciaire et après le jugement pour permettre aux locataires de trouver des solutions et aux CPAS d’intervenir
- Un fonds régional de solidarité pour indemniser les bailleurs dont les locataires ne paient pas le loyer pendant la période du moratoire.
Ces mesures ont été saluées par les associations de défense des locataires qui plaident pour des interventions plus préventives en amont des procédures d’expulsion. Cependant, d’autres acteurs, comme la conférence des juges de paix, se sont opposé à ces mesures, arguant d’une atteinte excessive aux droits des propriétaires.
2. Arguments des opposants au moratoire
a) Juges de paix :
- Le moratoire constituerait une “restriction excessive aux droits des propriétaires bailleurs” contraire au principe d’égalité inscrit dans la constitution
- Il risquerait d’encourager les locataires à ne pas payer leur loyer, sachant qu’ils ne peuvent être expulsés pendant l’hiver
- Il créerait une inégalité de traitement entre les propriétaires occupants et les bailleurs
b) Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC) :
- Le moratoire serait une mesure “injuste” qui pénalise les propriétaires
- Il ne permettrait en outre pas de résoudre les problèmes de logement à Bruxelles
- Il pourrait à terme avoir un impact négatif sur l’entretien des logements locatifs.
3. Recours en justice
C’est sur base de ces arguments que les juges de paix d’Ixelles, Uccle et Bruxelles (I) ont notamment décidé de ne pas appliquer le moratoire et ont prononcé des jugements écartant cette mesure, refusant donc aux locataires le droit de bénéficier de la protection de cette nouvelle mesure. Le tribunal de première instance, saisi en appel, a réformé certains de ces jugements en jugeant cette non-application du moratoire comme non conforme. En réponse, des questions préjudicielles concernant la légalité du moratoire ont été portées devant la Cour Constitutionnelle. Le SNPC s’est également opposé à cette mesure en introduisant un recours en annulation de toute l’ordonnance devant la Cour Constitutionnelle ainsi qu’en introduisant un recours devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté prévoyant la procédure d’indemnisation des bailleurs durant le moratoire.
Face à ces contestations, des associations comme le RBDH, “Loyers Négociés” ou encore le Syndicat des Locataires ont à leur tour pris part aux débats publics et judiciaires pour défendre le moratoire et les locataires lésés par sa non-application. Elles ont notamment déposé des mémoires auprès de la Cour constitutionnelle pour soutenir la constitutionnalité du moratoire.
L’avenir du moratoire hivernal est donc incertain, et la décision de la Cour constitutionnelle sur sa conformité à la loi sera déterminante. Si cette dernière devait conclure à l’inconstitutionnalité du moratoire, tous les juges de paix seraient alors tenus de ne pas l’appliquer à l’avenir, au détriment des locataires bruxellois les plus précaires. Affaire à suivre donc.
4. Et pour vos services ?
La controverse autour du moratoire hivernal sur les expulsions à Bruxelles à des implications importantes pour les services de médiation de dettes. En effet, ces services sont souvent confrontés à des locataires en situation de précarité financière qui peuvent dans certains cas courir le risque d’une éventuelle expulsion.
En attendant une clarification de l’avenir du moratoire hivernal, les services de médiation de dettes peuvent en tout cas déjà être attentifs à plusieurs points :
- Identifier les locataires à risque d’expulsion afin de leur proposer un accompagnement adéquat.
- Informer les locataires de leurs droits et des différentes options qui s’offrent à eux, y compris le moratoire hivernal et les aides financières disponibles
- Négocier avec les bailleurs des plans de paiement afin d’éviter une expulsion
- Accompagner les locataires dans les démarches administratives nécessaires à l’obtention d’aides financières ou dans l’introduction d’un recours contre une procédure d’expulsion.
Source : baromètre 2024 du logement du RBDH (« prévenir les expulsions »)