Plaidoyer Actions politiques Action – Des tarifs d’huissier plus clairs et moins chers, Vraiment ? De qui se moque-t-on ?

Action – Des tarifs d’huissier plus clairs et moins chers, Vraiment ? De qui se moque-t-on ?

Mis à jour le — Année du contenu : 2024

Un nouveau tarif des frais d’huissier est entré en vigueur ce 1er octobre. Rendu obligatoire par l’arrêté royal du 18 mai 2024, il se veut plus simple, plus transparent et plus strict vis-à-vis des pratiques abusives et frauduleuses. Derrière l’effet d’annonce se cache pourtant une autre réalité, pointée du doigt par le Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes (CAMD) et le Réseau belge de Lutte contre la Pauvreté (BAPN).

Les tarifs des huissiers de justice sont régis par arrêté royal : chaque acte posé par un huissier de justice dans le cadre de son monopole 1Lorsqu’il est chargé de signifier ou d’exécuter un 􀆟tre exécutoire (un jugement ou une contrainte, par exemple), l’huissier dispose d’un monopole et chaque acte qu’il pose doit être facturé selon ce􀆩e grille tarifaire inscrite dans la loi. est facturé selon une grille tarifaire inscrite dans la loi. Les tarifs pratiqués depuis 1976 faisaient l’objet de nombreuses critiques : tarification obsolète, pratiques de marché inadaptées ou encore manque de transparence des honoraires et frais. Comme d’autres acteurs du terrain, le Réseau belge de Lutte contre la Pauvreté (BAPN) et le Centre d’Appui aux Services de Médiation de Dettes (CAMD) appelaient de longue date à une réforme. Mais celle présentée par le Ministre de la Justice comme un « projet met[tant] fin aux règles qui contribuent à la spirale négative de l’endettement dont certaines personnes n’arrivent plus à sortir » 2Source : www.teamjustitie.be/fr/2024/05/08/08-05-nouvelles-regles-et-nouveaux-tarifs-pour-les-huissiers-de-justice-pour-aider-a-briser-la-spirale-de-lendettement/ est loin de répondre aux attentes. « A y regarder de plus près, on réalise vite que le nouvel arrêté royal manque singulièrement sa cible », déplore Anne Defossez, directrice du CAMD.

Pour aider le justiciable à vérifier les décomptes de frais et honoraires, la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a annoncé en grandes pompes avoir développé un outil en ligne, le Tarif Checker.

On penserait y trouver une interface accessible à monsieur et madame Tout le monde, leur permettant de vérifier facilement l’exactitude des montants réclamés par un huissier. Il ne s’agit en réalité que d’une liste des définitions juridiques des 75 intitulés de frais et honoraires que l’huissier est susceptible de facturer au consommateur. On y trouve de tout, un véritable fouillis jargonnant dans lequel seul un huissier pourra s’y retrouver.

Ne comptez pas pouvoir vérifier si un décompte est correct : c’est opaque, complexe et parfaitement incompréhensible pour un justiciable ordinaire, qu’il soit créancier ou débiteur. Et si vous avez l’intention de demander des pièces justificatives à l’huissier, sachez que l’ancien article qui prévoyait que « les huissiers de justice sont tenus de donner aux parties, qui en font la demande, le compte détaillé des sommes dues » a tout simplement été supprimé ! Question transparence, on a manifestement raté l’objectif.

Dans un communiqué de presse, le Ministre de la Justice annonce que cette nouvelle tarification est conçue à partir du principe de base selon lequel « le recouvrement ne doit pas enfoncer davantage les personnes et les entreprises qui n’arrivent pas à payer leurs dettes ».

Pourtant, le nouveau tarif coûtera bel et bien plus cher au consommateur. « Les ménages précaires continueront de voir leur dette atteindre des sommes folles en très peu de temps à cause des frais de huissiers », souligne Caroline Van der Hoeven, coordinatrice de BAPN. « Le nouveau tarif aggravera le processus de surendettement des plus précarisés auquel il prétend pourtant remédier. »

Quelques exemples (parmi d’autres) :

  • L’huissier peut désormais réclamer des frais administratifs forfaitaires de 50 €. C’est un honoraire qui n’existait pas auparavant, qui pourra être comptabilisé dès l’ouverture du dossier et qui s’ajoutera aux indemnités que l’huissier était déjà en droit de facturer pour des frais tels que des frais de rédaction, de traduction, de déplacement, etc.
  • Les droits de recette et d’acompte sont remplacés par un honoraire de recouvrement qui pèsera plus lourd pour le consommateur.

Exemple

Dans le nouveau tarif, pour une somme due de 2.500 €, à laquelle s’ajouteraient 350 € de frais de justice, l’honoraire s’élèvera à 271,5 € (8 % sur le principal et les frais), là où auparavant l’huissier ne pouvait réclamer que 25 € comme droit de recette (1 % sur le principal à l’exclusion des frais). C’est une augmentation exorbitante, en l’espèce de près de 87 % ! Imaginons maintenant que le débiteur règle cette somme en 20 mensualités plutôt qu’une. Puisqu’avec le droit d’acompte, l’ancien tarif permettait de prélever des honoraires à chaque nouvelle mensualité, on pourrait s’attendre à ce que, avec la suppression de ces prélèvements, le nouveau système soit plus avantageux. Pourtant, dans notre exemple, le nouvel honoraire est près de 100 € plus cher que l’ancien tarif.

  • Même plafonné pour les dettes sur des besoins de première nécessité, le nouvel honoraire de recouvrement est plus cher que l’ancien tarif. Un plafond de 100 euros est prévu pour les dettes d’électricité, gaz, eau et télécom. Dans l’exemple décrit ci-dessous, cela reste quatre fois plus élevé que l’ancien tarif. On s’interroge d’ailleurs sur la logique de cette limitation puisque d’autres dettes au moins aussi essentielles, ne sont pas prises en compte, comme le dettes de loyer par exemple.
  • L’huissier peut réclamer un honoraire de recouvrement pour des actes qu’il ne prestera pas. En effet, dans l’ancien tarif, les droits d’acompte et de recette n’étaient dus qu’en cas de paiement à l’huissier. Logique, puisqu’ils se justifiaient par les prestations comptables de l’huissier (même si elles sont informatisées aujourd’hui…). Or, le nouvel arrêté royal prévoit que cette commission est due à l’huissier, même si le débiteur ne paye pas chez lui mais directement chez le créancier !
  • L’huissier peut réclamer un honoraire annuel supplémentaire pour des actes qu’il ne prestera pas (BIS). Car ce n’est pas tout ! A l’honoraire de recouvrement vient encore s’ajouter un honoraire annuel fixe supplémentaire de 25 euros « pour assurer le suivi d’un plan de paiement ». Cet honoraire supplémentaire sera dû automatiquement à l’huissier même si le débiteur respecte son plan de paiement à la lettre et que l’huissier n’a pas besoin de faire de démarches supplémentaires…
  • L’huissier peut désormais facturer des honoraires à la demi-heure plutôt qu’à l’heure, et chaque demi-heure prestée coûtera deux fois plus cher que par le passé.

On a pu lire par ailleurs que le texte répond à la nécessité de mettre fin aux « abus commis par un petit groupe d’huissiers » 3Source : www.teamjustitie.be/fr/2024/05/08/08-05-nouvelles-regles-et-nouveaux-tarifs-pour-les-huissiers-de-justice-pour-aider-a-briser-la-spirale-de-lendettement/.

Au moment de son adoption au Parlement, le ministre de la Justice se félicitait à ce titre de la formulation plus stricte des limites balisant les pratiques des huissiers : ainsi, l’interdiction de la pratique illégale du no cure, no pay 4No cure no pay : pratique illégale par lequel l’huissier s’engage à ne pas réclamer ses honoraires au créancier en cas de non-paiement par le débiteur ne souffrirait plus aucune équivoque dans le nouveau texte. En réalité, cette interdiction figurait déjà noir sur blanc dans le précédent arrêté royal. Elle est devenue néanmoins très habituelle ces dernières années, sans réaction des organes disciplinaires. Pourquoi cela changerait-il ?

Derrière un épais écran de fumée se cache un nouveau tarif qui n’est ni clair ni transparent ni moins onéreux pour les citoyens, et qui n’offre pas plus de garanties de contrôle.

Cette campagne vise surtout à redorer une image ternie depuis quelques années par des pratiques illégales encouragées par une impunité que favorise le silence des organes déontologiques. A cet égard hélas, rien ne changera. Aussi BAPN et le CAMD appellent-ils le futur gouvernement à revoir rapidement sa copie, en accordant une oreille plus attentive aux associations de défense des consommateurs et de lutte contre la pauvreté au cours de cet exercice.

Infos & Contacts

Sources complémentaires

Plus de détails et d’exemples étayant et illustrant les constats ci-dessus :

Contacts

FR : Anne DEFOSSEZ, Directrice du Centre d’Appui-Médiation de dettes

e-mail : a.defossez@mediationdedettes.be

tél : 0473/690.651

NL : Delphine De Riemaecker, chargée de communication du Réseau belge de Lutte contre la Pauvreté
(BAPN)

e-mail : delphine.deriemaecker@bapn.be

tél : 0472/56.17.86

A propos

Le BAPN (Réseau Belge de Lutte contre le Pauvreté)

Le Réseau Belge de Lutte contre la pauvreté (BAPN) s’engage dans la lutte contre les causes structurelles de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans toute la Belgique, en partant toujours de l’expérience des personnes en situation de pauvreté. A travers le conseil, le soutien et l’influence des politiques fédérales et européennes, BAPN cherche à obtenir des réformes structurelles qui fassent une réelle différence sur le terrain. Nos analyses et recommandations reposent sur une approche fondée sur les droits et sont élaborées en concertation permanente avec les premières et premiers concernés.

Le BAPN représente aux niveaux fédéral et européen les quatre réseaux régionaux de lutte contre la pauvreté et leurs associations membres où les personnes en situation de pauvreté prennent la parole. Il s’agit des réseaux suivants : le Réseau de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), le Netwerk tegen Armoede (NtA), le Forum – Bruxelles contre les Inégalités (Le Forum), le Brussels Platform Armoede (BPA). BAPN fait également partie du Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN).


Le CAMD (Centre d’Appui – Médiation de dettes)

Actif sur le terrain de la médiation de dettes en Région bruxelloise depuis sa fondation en 1999, le Centre d’Appui-Médiation de Dettes a pour mission principale de soutenir l’action des services de médiation de dettes du secteur associatif et du secteur public (créés par les CPAS notamment).

Le Centre d’Appui-Médiation de Dettes forme les médiateurs de dettes. Il les réunit pour permettre des partages d’expériences, le suivi des évolutions législatives et la mise au point d’outils de travail. Des rencontres régulières sont organisées avec les pouvoirs publics, les intervenants judiciaires et les créanciers.

Le Centre d’Appui s’efforce également de mener une réflexion sur la question du surendettement et œuvre, depuis sa création, à améliorer l’accès à la justice, aux droits et à la défense des intérêts des personnes en difficultés financières et/ou en situation de pauvreté.


Annexes


  • 1
    Lorsqu’il est chargé de signifier ou d’exécuter un 􀆟tre exécutoire (un jugement ou une contrainte, par exemple), l’huissier dispose d’un monopole et chaque acte qu’il pose doit être facturé selon ce􀆩e grille tarifaire inscrite dans la loi.
  • 2
    Source : www.teamjustitie.be/fr/2024/05/08/08-05-nouvelles-regles-et-nouveaux-tarifs-pour-les-huissiers-de-justice-pour-aider-a-briser-la-spirale-de-lendettement/
  • 3
    Source : www.teamjustitie.be/fr/2024/05/08/08-05-nouvelles-regles-et-nouveaux-tarifs-pour-les-huissiers-de-justice-pour-aider-a-briser-la-spirale-de-lendettement/
  • 4
    No cure no pay : pratique illégale par lequel l’huissier s’engage à ne pas réclamer ses honoraires au créancier en cas de non-paiement par le débiteur